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Dictionnaire de l'occitan médiéval (DOM)

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Documentation


Préface à l'édition imprimée, DOM Fascicule 1 (1996)

(Extrait de: Dictionnaire de l'occitan médiéval (DOM). Fascicule 1: A - ACCEPTAR, éd. W.-D. Stempel, Tübingen 1996, p. V-IX)

Introduction

1   Le but du DOM

Il faut bien l’avouer: les ambitions qu’on pourra associer à ce Dictionnaire de l’occitan médiéval (DOM) sont assez divergentes. Elles sont, fatalement, très grandes en ce sens que l’ouvrage que dans les années à venir on osera présenter au public savant est censé combler, dans la lexicographie de l’occitan, une lacune qui est par trop évidente pour qu’on ait besoin d’en évoquer les circonstances historiques. Rappelons tout de même brièvement que le Lexique roman que Raynouard publia entre 1838 et 1844 est pratiquement resté jusqu’à présent le seul dictionnaire «autonome» de l’ancien occitan, le Provenzalisches Supplement-Wörterbuch d’Emil Levy (1894–1924), malgré ses riches matériaux, n’ayant jamais prétendu le remplacer. En 1929 (juste une année après la réimpression du Lexique roman par la maison Winter à Heidelberg), Carl Appel, qui, après la mort de Levy (1917) s’était chargé de la publication du huitième volume du Supplement-Wörterbuch après avoir assisté l’auteur de ses conseils durant toute l’entreprise, esquisse le projet d’un «Vocabulaire de l’ancien provençal» (Alt­provenzalischer Wortschatz) en précisant les trois opérations de base sur lesquelles devrait se fonder tout nouveau dictionnaire de l’ancienne langue: réunir les matériaux qu’offrent les dictionnaires de Raynouard et de Levy (Appel avait fini par abandonner l’idée, chère à Levy, d’un «Supplément au supplément», quoiqu’il vît de sérieuses difficultés à intégrer «le vieux Raynouard» au nouvel ouvrage)[1], revoir les entrées au point de vue forme et sens, et ajouter les entrées qui manquent[2]. Nous ne savons pas si Appel entendait s’attaquer lui-même à la réalisation de ce nouveau dictionnaire dont il a donné quelques spécimens aux Mélanges Behrens. Toujours est-il que dans les années cinquante, son programme fut repris par Ernst Gamillscheg, qui pourtant passa l’idée d’un nouveau dictionnaire de l’ancien occitan à son élève Helmut Stimm. Stimm, le véritable initiateur de ce projet dont la réalisation fut jusqu’à sa mort prématurée (1987) la préoccupation majeure[3], avait favorisé une orientation étymologique de l’entreprise[4], option qui après sa mort n’a pas été maintenue dans toutes les implications qu’elle comportait. On a pourtant doté le commentaire qui clôt chaque article d’informations étymologiques qui, le cas échéant, cherchent à faire le point de la recherche.

On s’en tient donc, pour l’essentiel, au programme esquissé par Appel. Le DOM répondra-t-il aux exigences qu’il avait formulées? En principe, c’est son intention. Mais tout dépend de la façon dont on cherche à y satisfaire. Et c’est là que nos prétentions s’avèrent être des plus modestes – tout comme sont modestes les conditions de travail auxquelles la réalisation du projet est et restera soumise (si tout va bien...). C’est ainsi que le DOM réunira les matériaux accumulés depuis quelque trente ans par le dépouillement des dictionnaires de Raynouard et de Levy, des glossaires et notes d’éditions de textes, de comptes rendus d’éditions, d’études lexicales, sémantiques et étymologiques. Mais la représentativité à laquelle on aspire sera toute relative: comme il y a (moins en ce qui concerne la poésie des troubadours que dans les autres domaines) bon nombre d’éditions dépourvues de glossaire valable (si tant est qu’elles en aient un) et dont par conséquent le vocabulaire n’a pas pu être retenu ou seulement en partie, il est évident que le DOM sera, de par son plan et donc par-delà l’imperfection naturelle de tout dictionnaire de ce genre, incomplet. D’où quelques implications fâcheuses pour la rédaction des articles: à moins d’avoir affaire à des situations évidentes, on s’interdira toute conclusion trop définitive au sujet de la fréquence, de la localisation et de la première attestation du matériel lexical. Il s’entend d’autre part que chaque exemple cité dans le DOM aura été soumis à un examen préalable dans son contexte d’origine.

Si donc, soucieux surtout de donner à la réalisation de notre dictionnaire une perspective «réaliste», nous avons dû en restreindre les prétentions (dont celle, hélas, de la documentation par citations qu’on ne reproduira que là où elles semblent indispensables, dans les cas de prépositions, p. ex.), le DOM, en revanche, bénéficiera des avantages qu’offre de nos jours la mise en place technique de ce genre d’entreprises. Le DOM est un dictionnaire informatisé, c’est-à-dire que les données contenues dans les articles (entrée, catégorie grammaticale, acceptions, attestations, dates des attestations, graphies, étymon, etc.) sont entrées dans l’ordinateur d’une façon structurée, si bien que l’on disposera d’une banque de données qui permettra d’en tirer des informations qu’un dictionnaire imprimé ne saurait offrir. Il en est de même de la bibliographie du DOM (qui sera incluse dans le premier Supplément). Elle réunit des informations qui jusqu’à présent se trouvaient dispersées dans différentes éditions, la Bibliographie de Clovis Brunel ou, pour ce qui est des dates biographiques des troubadours, le Grundriß der romanischen Literaturen des Mittelalters. Et elle facilitera l’établissement de nouveaux index (index chronologiques des troubadours, des textes, des manuscrits, classification régionale des textes ou des manuscrits, index des sources de Raynouard avec leur identification, qui complétera le «Levyschlüssel» de Kurt Baldinger, etc.). Le logiciel qui répond aux besoins particuliers du DOM a été élaboré par Dieter Strehle.

L’avantage technique de l’informatisation devrait permettre d’intégrer au DOM successivement tout ce qui servira à réduire la marge de son imperfection matérielle, en premier lieu les fruits d’une collaboration avec Peter Ricketts dont la Concordance de l’occitan médiéval, en cours de réalisation, sera pour le DOM de la plus grande utilité, mais aussi toutes les additions et corrections que le lecteur critique est invité à nous faire parvenir de façon directe ou indirecte.

2   La conception du DOM

2.1   Les dimensions du corpus

2.1.1 L’espace de temps

Le DOM se propose de recueillir les éléments du vocabulaire occitan médiéval tel qu’il apparaît dans les textes occitans ou plus ou moins «occitanisés» (cf. infra) depuis les débuts jusqu’en 1550 environ. Cette dernière date permet d’inclure d’importants matériaux offerts par les écrits non-littéraires de la fin du moyen âge, tout en évitant les artefacts lexicaux chers à l’époque subséquente. Pour ce qui est des débuts, on se limitera en principe à relever les exemples sous forme occitane, l’attestation latine éventuelle n’étant prise en considération qu’exceptionnellement.

2.1.2 La question de l’identité linguistique

Qu’un dictionnaire de l’occitan médiéval inclue le gascon, c’est là une option qui de nos jours n’a plus besoin de se justifier, malgré le témoignage des Leys d’Amors[5] et du fameux Descort de Raimbaut de Vaqueiras qui, comme on sait, comptent le gascon à l’égal du français, de l’italien, etc. parmi les langues étrangères. C’est que, malgré tout ce qu’on a pu avancer, la composante occitane du gascon semble être trop manifeste pour qu’on la sacrifie à ses idiosyncrasies.

Le DOM tiendra compte aussi des textes vaudois que Clovis Brunel dans sa Bibliographie des manuscrits littéraires en ancien provençal avait «laissés à la littérature du Nord de la France», tout comme les «poèmes de Clermont, fragment d’Alexandre (...) et généralement toute composition en franco-provençal» (p. xi). Voilà une option que, dans le cas du franco-provençal, on n’a aucun mal à adopter, mais qui fait problème pour le reste des documents cités. Ainsi on se demande, p. ex., à quel titre le FEW, en tête de l’article APUD et bien avant de citer la forme de l’ancien occitan, présente un «afr. et mfr. ab» en renvoyant au seul témoignage des Serments de Strasbourg, de la Passion de Clermont-Ferrand et du Saint Léger (FEW 25:62b)[6], alors que l’a.occ. ap, variante qui, à la différence de ab, n’est pas réclamée pour l’a.fr., se retrouve avec ab dans ce même texte de la Passion (v. 496) et que par ailleurs le Saint Léger offre (à côté du poit. ob) ab et am (v. 157). On sera donc soucieux de retenir tout élément occitan de ce genre d’écriture qui dans sa totalité se soustrait à une classification unilatérale.

2.2   La présentation des matériaux

2.2.1 Le DOM, dictionnaire alphabétique

Le DOM est, à l’instar de ses devanciers, un dictionnaire alphabétique et donc sémasiologique. Par conséquent, il est radicalement différent des dictionnaires de l’ancien occitan (DAO) et de l’ancien gascon (DAG) que Kurt Baldinger publie depuis 1974/1975 et qui de par leur structure onomasiologique ne répondent pas aux besoins auxquels le DOM voudrait satisfaire.

Le DOM se propose donc d’enregistrer pour chaque entrée les acceptions, en les présentant dans un ordre aussi plausible que possible. Nul doute qu’on a là affaire à un point délicat, puisque la systématique de l’analyse sémantique ne reflète pas nécessairement les articulations de l’évolution historique. Quoi qu’il en soit, l’ambition du DOM devra ici se limiter à servir les intérêts de la majorité des usagers, dont la curiosité concerne en premier lieu le contenu sémantique de l’unité lexicale sur laquelle ils ont pu tomber et, le cas échéant, son rapport avec la signification de l’entrée. Disons que là aussi le DOM comme plus ou moins tout dictionnaire de ce genre devra souvent demeurer en reste, puisqu’il ne saurait enregistrer toutes les finesses de la parole. Il est cependant impossible de fixer de façon systématique les limites respectives que le DOM n’entendrait pas dépasser; la question se pose pour chaque cas de façon différente.

2.2.2 La présentation des exemples

La documentation des entrées, qui, bien entendu, est le cœur de chaque article, se fait de manière à mettre en évidence, par ordre chronologique, les articulations particulières dans trois domaines différents, dont le premier qui renferme la poésie des troubadours (=  T) et le troisième, les documents d’ordre juridique ou commercial (= D), n’ont pas besoin d’être justifiés, alors que le deuxième qui regroupe les données de tous les autres écrits, en vers ou en prose, est appelé «littéraire» (=  L) au sens large du terme (qui sur ce point recouvre à peu près l’emploi que C. Brunel fait de cette épithète dans sa Bibliographie). Il s’agit ici d’un groupe hétérogène, certes, mais dont une subdivision ne s’impose pas.

2.2.3 Le choix de l’entrée

Deux questions se posent quand il s’agit de choisir le signifiant qui devra figurer en tête de l’article: lequel mettre en vedette s’il y a plusieurs variantes graphiques? Et s’il n’y en a qu’un seul et qu’il soit marqué par une forme particulière qui ne correspond pas à ce qui peut passer pour la norme, respectera-t-on cette particularité ou vaut-il mieux la supprimer au profit d’une apparence normale, mais factice? La décision qu’on a cru devoir prendre dans les deux cas n’allait pas de soi, mais elle est, en dernière analyse, impliquée par l’imperfection du DOM (cf. supra): comme théoriquement l’unicité d’un exemple tout comme sa fréquence doit être supposée provisoire, la normalisation de l’entrée (qui est citée à l’intérieur de l’article sous sa forme attestée) ne fait que respecter ce présupposé général. Ajoutons qu’elle sera aussi à l’avantage de l’usager qui, à la recherche d’un éventuel représentant a.occ. d’une famille de mots romane d’un étymon, partira par rapport à cette langue, d’un concept de normativité.

Pour les détails de la présentation (abréviations, etc.), je renvoie au premier Supplément au DOM dont la publication est prévue pour 1996.

*  *  *    

Quand on prépare un dictionnaire de l’envergure du DOM, on s’expose au dilemme classique de devoir choisir entre deux attitudes: celle d’une scrupulosité extrême, attitude admirable mais fatale pour l’achèvement de l’entreprise qui, si tout va bien, se recommandera à la postérité par la qualité de ses fichiers (le cas d’Adolf Tobler); ou bien cette autre qui s’arroge «le courage, indispensable à tout lexicographe, de commettre des fautes» au dire d’Erhard Lommatzsch[7], pour atteindre le but qu’on s’est donné, attitude moins admirable en soi, certes, et qui par dessus le marché est susceptible d’échouer...

L’équipe du DOM, par la force des choses, a dû opter pour la deuxième attitude. Nul ne connaît le sort qui sera réservé à son entreprise; mais elle sait que si elle a pu arriver à un premier résultat, c’est moins en raison de cet énorme courage qui animait Lommatzsch que grâce au permanent encouragement de ceux qui ont bien voulu accompagner ses activités de leur bienveillance. Nous remercions avant tout la Deutsche Forschungsgemeinschaft qui depuis 1982 soutient notre projet de ses crédits; nous sommes sensibles à l’aide comme à l’hospitalité que veut bien nous accorder l’Institut de philologie romane de l’Université de Munich et nous exprimons ici notre gratitude aux nombreux amis du DOM et tout particulièrement à Dieter Strehle, informaticien talentueux, qui avec un dévouement désintéressé nous a rendu d’inestimables services, à Peter Ricketts qui nous accorde son appui généreux, ainsi qu’à Claire Chesnais, Monique Krötsch et Patrick Maubert qui ont bien voulu s’employer à revoir nos textes du point de vue de la langue.

Comment ne pas évoquer au terme de cette première étape le souvenir de celui qui fut l’initiateur de ce projet: c’est à la mémoire de Helmut Stimm que l’équipe du DOM dédie cet ouvrage.

Munich 
W.-D. Stempel

Notes

[1]   Cf. C. Appel, «Die Fortführung des Provenzalischen Supplement-Wörterbuchs von Emil Levy», in: Behrens-Festschrift zum 70. Geburtstag (supplément à la ZFSL), Jena, Leipzig 1929, p. 168.

[2]   Cf. C. Appel, «Die Fortführung des Provenzalischen Supplement-Wörterbuchs von Emil Levy», in: Behrens-Festschrift zum 70. Geburtstag (supplément à la ZFSL), Jena, Leipzig 1929, p. 169.

[3]   Cf. p. ex. les spécimens d’articles publiés dans «Dictionnaire étymologique de l’ancien provençal», in: H. Stimm, M. Briegel (éds.), Wörterbücher der deutschen Romanistik. Acta Humaniora, publ. par la Deutsche Forschungsgemeinschaft, Weinheim 1984, p. 39–48, et dans l’article nécrologique par Hans Helmut Christmann, ZrP 104 (1988), p. 603–609.

[4]   Voir, pour l’historique du projet, H. Stimm, «Dictionnaire étymologique de l’ancien provençal», p. 39–40; H. H. Christmann, «Helmut Stimm (1917–1987)», ZrP 104 (1988), p. 600–602; W.-D. Stempel, «Le Dictionnaire de l’occitan médiéval (DOM)», in: Actes du XXe Congrès International de Linguistique et Philologie Romanes, vol. 4, Tübingen, Basel 1993, p. 811–812.

[5]   Cf. dans l’édition Gatien-Arnoult, Paris, Toulouse 1841–43, vol. 2, p. 388.

[6]   Cf. au sujet de ce ab, A. Castellani dans «Le problème des Serments de Strasbourg [1956]» et «L’ancien poitevin et le problème linguistique des Serments de Strasbourg [1967]», in: A. Castellani, Saggi di linguistica e filologia italiana e romanza (1946–76), vol. 3, Roma 1980, p. 29–30 et p. 61–62.

[7]   Cf. H. H. Christmann, «Altfranzösisches Wörterbuch (Tobler-Lommatzsch)», in: H. Stimm, M. Briegel (éds.), Wörterbücher der deutschen Romanistik, Weinheim 1984, p. 24.


Préface au DOM nouvelle formule (2017): Le DOM en ligne

[à paraître]